Cécile Coulon : "Pour avoir une âme malsaine, il faut être très bien préparé physiquement". (DR)
Cécile Coulon, la jeune romancière de "Trois saisons d'orage", livre un convaincant "Eloge du running". Interview.
Elle s'enquille une quarantaine de kilomètres par semaine. Pour la Clermontoise Cécile Coulon, la course à pied est une activité nécessaire, découverte en famille et prolongée pour mieux peaufiner son écriture. Prodige des lettres qui publie depuis ses 20 ans, l'auteur du «Roi n'a pas sommeil» et de «Trois saisons d'orage» livre aujourd'hui un convaincant «Eloge du running», qui parlera même à ceux qui n'ont jamais enfilé de bandeau éponge. Cet ouvrage plaisant, construit comme un marathon, revient autant sur l'histoire de la discipline que sur les émotions de l'auteure. Nous l'avons rencontrée à Paris fin avril, en plein marathon... médiatique.
BibliObs. « Courir fut d'abord pour moi une affaire de famille», écrivez-vous dans les premières pages de «Petit Eloge du running». Racontez-nous comment vous vous y êtes mise.
Cécile Coulon. C'était quelque chose de naturel, qu'on partageait dans ma famille, où tout le monde court, d'une manière ou une autre. Ma mère a commencé l'athlétisme à 13 ans et elle ne s'est jamais arrêté de courir depuis. A 60 ans, elle veut s'entraîner pour un marathon. Mon père est pongiste, mais il nous accompagnait de temps en temps. Mes frangins font du foot depuis qu'ils savent marcher. Mes oncles et tantes font de la course à pied aussi. Il y a toujours eu un attrait pour le sport en général. Et la course en particulier, parce que c'est la discipline qui ne demande pas d'être dans un club, qui ne coûte pas cher si ce n'est une paire de pompes, et qu'on peut faire à n'importe quel âge, partout, tout le temps.
Vous écrivez que si vous ne courriez pas, vous ne pourriez plus «écrire un roman, plus une ligne». En quoi les deux activités sont-elles liées ?
C'est quelque chose dont je me suis rendue compte assez tardivement, car mes 40 kilomètres de course ont toujours fait partie de ma semaine. Les moments où je me sens le plus affûtée intellectuellement, c'est après la course. Quand on court un certain nombre de kilomètres, il y a une sorte de tri mental. Ne restent en tête que les choses importantes, qui ont une signification. Courir me permet de défaire des nœuds, de régler des problèmes concernant l'intrigue ou l'écriture. J'arrive alors à écrire cinq-six-sept pages d'affilée. C'est presque jubilatoire.
Désormais, les jours où je ne cours pas, je n'écris pas. R écemment, je me suis rendue à Vichy me mettre un peu de côté et je prévoyais mes séances d'écriture en fonction des séances de running. C'est devenu complètement nécessaire. Est-ce que c'est dû à une sorte de fatigue, à une montée d'endorphines? C'est la molécule du plaisir, on se sent très bien, on a l'impression d'être capable de tout faire. On est un peu sur pilotis, un peu défoncés au running.
"Pour avoir une âme malsaine, il faut beaucoup d'énergie"
Haruki Murakami, qui a écrit «Autoportrait de l'auteur en coureur de fond», la référence des coureurs, dit lui qu'une «âme malsaine a besoin d'un corps en bonne santé».
Oui, je pense qu'il faut un corps en forme pour une raison assez simple: pour avoir une âme malsaine, il faut beaucoup d'énergie. Ça prend un temps fou d'arriver à créer des histoires vicieuses, de faire jaillir de la violence qu'on a en soi dans un texte. Peut-être que le sport, c'est une façon de se préparer à l'écriture. Peut-être que pour avoir une âme malsaine, il faut être très bien préparé physiquement.
Haruki Murakami : Je cours, donc je suis
Vous êtes-vous inspirée d'auteurs parlant de sport pour cet «Eloge du running»?
Il se trouve qu'en parallèle, je fais une thèse sur les rapports entre sport et littérature - mais ne me demandez pas quand est-ce que je la termine. Je travaille sur des ouvrages d'auteurs français sur le sport, dont «la Petite communiste qui ne souriait jamais» de Lola Lafon, «les Athlètes dans leur tête» de Paul Fournel, «Jouer juste» de François Bégaudeau et «Courir» de Jean Echenoz, peut-être le grand texte sportif français.
Sur la course à pied, le livre de Murakami, c'est une bible. Même les gens qui ne font pas de sport et qui ne s'y intéressent pas le connaissent. C'est devenu un classique, et ça, c'est très beau. Il a réussi à tirer d'une discipline très particulière quelque chose de complètement universel. Pour ça, ce livre a un certain courage. Je citerais encore «la Grande course de Flanagan», très beau livre publié dans les années 1980 par Tom MacNab, entraîneur d'athlétisme et directeur technique du film «les Chariots de feu». Il raconte sur 700 pages la Trans-America, une course de fond de Los Angeles à New York pendant la Grande Dépression.
Votre livre est découpé selon les étapes d'une course, avec les échauffements et les ravitaillements.
J'avais beaucoup d'éléments historiques, mais comment agencer tout cela pour créer une forme novatrice, ludique et en accord avec la course à pied? J'ai d'abord pensé le faire kilomètre par kilomètre, mais ça aurait été trop long d'écrire 42 chapitres. J'ai donc ajouté les ravitaillements aux chapitres existants pour donner une touche plus légère. On parle de bouffe, de ceux qui s'arrêtent, de ceux qui boivent, de ceux qui picolent. C'est le moment un peu gourmet de la course à pied.
J'avais aussi pensé placer des mini-interviews de marathoniens. J'ai envoyé les trois mêmes questions aux gens, mais les réponses étaient très différentes. Même si j'assurais garder l'anonymat, certains ne voulaient pas répondre car cela faisait appel à des choses trop intimes. Notamment la question «Pourquoi vous êtes-vous mis à courir». Je me souviens d'une femme qui avait été soignée d'un cancer et qui avait commencé à courir pour essayer de retrouver son corps d'avant le traitement.
Echenoz, la course en tête, par Jean-Louis Ezine
De "la course pour rien" au "running"
Vous expliquez que la seconde moitié du XXe siècle a fait naître une nouvelle forme de course: «la course pour rien», la course pour la course, sans chronomètre, sans manifestation sportive.
La première ère de la course à pied moderne dans les années 1960 était celle de «la course pour rien». Ou alors peut-être de la course politique parce qu'on était considéré comme un dingue quand on courait. Dans «Free to run», le très beau film de Pierre Morath, des gens qui couraient à Times Square il y a trente ans disent: «On risquait nos vies, on était pris pour des marginaux à faire ça.» Dans les années 1980 aussi, on courait sans raison ou alors pour une raison toute bête: le plaisir.
Mais ces dix dernières années, la course est devenu un produit marketing tellement fort qu'on ne peut plus dire que les coureurs courent «pour rien». Les gens qui se mettent à courir, c'est soit pour éviter le stress du boulot, soit pour maigrir - en plus ils ne disent pas «maigrir», ils disent «se maintenir en forme». Il y a aussi les gens qui courent ensemble, ce qui est paradoxal, courir étant une activité solitaire. Il y a un besoin que les autres disent: c'est bien ce que tu fais. Il y a une forme de confiance en soi qui naît du fait que les autres nous félicitent.
Une fois qu'on a passé toutes ces barrières ultra-contemporaines, on trouve des gens qui courent parce qu'ils aiment courir. C'est assez rare, et plutôt dans la génération plus âgée. L'ancienne génération, ça doit bien les faire marrer que le terme «course à pied» ait été remplacé par «running» ou «trail», pour des raisons purement marketing. La première chose que ma mère m'a demandé, c'est: «Pourquoi c'est "Eloge du running", et pas "Eloge de la course à pied"?» Question extrêmement intéressante. Je lui ai dit de le lire pour comprendre. Et voilà comment on vend un exemplaire à sa mère.
Vous dites aussi que l'engouement des Français pour la course à pied vient de l'obsession de leur son propre corps, et au-delà, de son vieillissement.
Il y a toujours eu ce flottement dans l'humanité: qu'est-ce que c'est de vieillir? Est-ce qu'on peut ne pas vieillir, physiquement, intellectuellement? On sait qu'on ne sera pas immortel, mais on veut faire en sorte d'allonger non pas tellement notre espérance de vie, mais notre espérance de jeunesse. Si on disait aux gens: «Vous avez le choix entre vivre normalement jusqu'à 70 ans ou vivre dix ans de moins en gardant un visage et un corps très beaux jusqu'à 45 ans», plein de gens prendraient la deuxième solution.
Ils préfèrent être dans la fleur de l'âge le plus longtemps possible, plutôt que de vivre longtemps avec un corps décharné. Le running est apparu comme cette discipline qui permet, pour très peu d'argent, de prendre soin de soi et d'avoir un corps jeune. Sur une ligne de départ, les corps sont secs, ils se ressemblent. Ce qu'on vend aux gens, c'est de retrouver un corps d'enfant, plat ferme et mince.
"Les trois corps du coureur"
En quoi consiste cette théorie «des trois corps du coureur» que vous développez?
Pendant la course, on se rend compte qu'on a trois corps et cette conscience se développe à mesure que grandit la fatigue ou la souffrance. Le premier, c'est le corps avec lequel on part, qui est le corps que nous avons au quotidien. Le deuxième, c'est le corps sportif, le corps dans l'effort, c'est-à-dire toutes les forces qu'on est capable de mettre au bout de 10-15 km.
Le troisième, qui est pour moi le plus philosophiquement intéressant, c'est le moment où notre organisme n'a plus d'énergie, n'a plus ce qu'on appelle le glycogène, substance qui est l'essence des muscles. On ne devrait plus pouvoir avancer - c'est ce qu'on appelle «le mur» dans le marathon. Et pourtant, on continue. Qu'est-ce qui fait que sans énergie, on est capable d'aller au-delà de nous-mêmes?
Le troisième corps, c'est le corps intérieur, qui défie les organes, les entrailles, ce que nous sommes biologiquement. Les possibilités que ça indique, même pas d'un point de vue biologique, mais humain! Cela veut dire que nous ne sommes pas simplement faits de sang, d'eau, d'os et de muscles, mais qu'il y a autre chose en nous qui nous permet de continuer à avancer.
Ces «couillons» qui courent vers nulle part
Vous avez d'autres projets?
« Les Ronces », mon recueil de poésie, sort au Castor astral. Je me suis inscrite sur les réseaux sociaux pour publier de la poésie, en me disant: de toute façon en France, la poésie ça ne marche pas, ça n'intéresse personne, donc faisons-le sur Facebook, si les gens ont envie de lire, ils liront. J'ai commencé en 2014-2015 et on en est à 12.000 lecteurs, ce que je ne pensais pas possible.
Vous vous exposez à ce que certaines personnes reprennent des citations du «Petit Eloge du running» sur les réseaux sociaux.
J'espère ! Il y avait une phrase dont j'étais très fière dans «le Cœur du pélican»: «Le monde ne comprendra jamais que les grands hommes ne sont pas ceux qui gagnent mais ceux qui n'abandonnent pas quand ils ont perdu.». Elle a été reprise par des coureurs sur des forums d'entraide. J'étais très contente. Que le livre soit lu par des coureurs, c'est ultra-flatteur. Mais le vrai Graal, c'est d'arriver à faire lire des gens qui ne s'intéressent pas du tout au running.
Propos recueillis par Amandine Schmitt
Petit éloge du running,
par Cécile Coulon,
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